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mardi 2 novembre 2010

La guerre d'Espagne



Description:

Soixante-dix ans après le pronunciamento de Franco, ce livre reconstitue le climat politique de l'époque, éclairant les causes culturelles, sociales, politiques et géopolitiques de ce qui fut une tragédie nationale ainsi qu'une répétition générale de la Seconde Guerre mondiale. Il dresse le récit des opérations militaires et met à profit les nouveaux témoignages et les archives soviétiques.


Commentaire:

Que l’on prononce les mots «guerre d'Espagne», et voilà que les gauchistes nostalgiques se mettent à soupirer: «Ah! Le front populaire! Ah! Les brigades internationales!» En fait, cet épisode sombre de l’Histoire, opposant de 1936 à 1939 la gauche républicaine et la droite nationaliste, se distingue surtout, selon l’auteur de La guerre d’Espagne, par une succession de batailles menées par des chefs incompétents et ombrageux. Les moins imbéciles ont fini par l'emporter, plongeant l’Espagne dans trente-six ans de dictature cruelle et absurde du caudillo Franco. Il faut féliciter de nouveau l’historien britannique Antony Beevor, auteur des remarquables Stalingrad et La Chute de Berlin, pour parvenir à clarifier les enjeux stratégiques et politiques de cette guerre civile sans jamais négliger l'élément humain.


Un ouvrage polémique:

Son livre sur la guerre d’Espagne est essentiellement fondée sur la relation des batailles et des fronts. Cependant, comment traiter d’un conflit civil de cette ampleur sans traiter des conditions politiques, sociales et institutionnelles qui y ont conduit, sans traiter non plus des usages politiques des opérations militaires menées sur le terrain ? Mais c’est la reconstitution du climat politique qui est la partie la plus faible de l’ouvrage.

la thèse que tente de développer Beevor sur le contenu de l’affrontement est la suivante: « La guerre d’Espagne a été très souvent décrite comme un affrontement entre la gauche et la droite, mais c’est là une simplification trompeuse. Deux autres axes de conflit apparurent alors : le centralisme d’État opposé à l’autonomie régionale, et l’autoritarisme opposé à la liberté individuelle. Les forces nationalistes de droite étaient bien plus cohérentes parce que, à quelques exceptions mineures près, elles mêlaient trois extrêmes qui se tenaient fortement : elles étaient à la fois centralistes, autoritaires et de droite. La république, de son côté, donnait l’image d’un chaudron bouillonnant d’incompatibilités et de soupçons mutuels, où les centralistes partisans de l’autorité, les communistes en particulier, s’opposaient aux régionalismes et aux libertaires. »

Même si elle repousse tout simplisme, la thèse de Beevor manque de nuances et rien dans son introduction n’en apporte. Considérer que les communistes étaient « centralistes et partisans de l’autorité » est aller très vite en besogne. Mais cette suite logique permet de réduire le discours ainsi : la droite et les communistes étaient centralistes et autoritaires, les régionalistes et les libertaires étaient leur exact opposé, les partis du centre républicain et les monarchistes étant oubliés au passage. Par conséquent, cette guerre se résume dans son esprit à la lutte pour l’hégémonie des deux factions centralistes et autoritaires.

Ainsi devient légitime sa violente critique de la politique d’apea-sement britannique et des sympathies dont les insurgés disposaient auprès de la diplomatie britannique : « Eden ne fut pas vraiment un observateur impartial du conflit » . Mais aussi auprès des grands patrons américains : « Le président de la Texas Oil Company, Thorkild Rieber, était un admirateur des fascistes et lorsqu’il apprit le soulèvement, il détourna cinq pétroliers en route pour l’Espagne vers le port nationaliste de Tenerife, qui disposait d’une vaste raffinerie. ».

Mais le caractère authentiquement anglo-saxon de l’ouvrage repose sur la description dans le détail des initiatives stratégiques des deux camps. Cette fois, c’est le spécialiste de questions militaires qui apparaît. Et nous devons reconnaître que sa connaissance de ces questions lui permet de développer un certain nombre de thèses.

La première revient à délivrer un jugement profondément négatif sur la capacité stratégique, logistique et de commandement de l’armée qui se soulève. Mais les officiers supérieurs restés sous les ordres de l’État républicain n’en sortent pas grandis pour autant.

Dans les chapitres qui évoquent les combats d’envergure, il souligne la capacité de pénétration des troupes engagées sous les ordres du colonel Yagüe (cinq colonnes de mille cinq cents hommes, dont un fort contingent de regulares marocains et de légionnaires) dans les premières semaines. La vitesse de la percée qu’elles réalisent à la fin de l’été 36, de Séville à Tolède, est comparée à celle des percées motorisées de 1940. Face à cette efficacité, Antony Beevor souligne le faible armement des milices, « troupes républicaines composites, mélange d’officiers d’active indolents, de milices ouvrières et de paysans ».

Toutes les grandes batailles sont soumises à la critique des types d’engagement de part et d’autre, avec un luxe de détails dans la description des phases de mouvement qui rend l’ensemble fascinant.

La critique touche tous les engagés, sauf la force d’intervention allemande, équipée de matériel moderne et qui représenta un appui aérien précieux pour les troupes terrestres nationalistes. En décembre 36, les forces allemandes représentaient un contingent de 12 000 hommes, quatre escadrilles de chasseurs, quatre de bombardiers et deux bataillons de Panzers (cent deux chars), auxquels s’ajoutaient des batteries légères antiaériennes et des canons de 88 mm.

La troupe envoyée par Mussolini (le Corpo di Truppe Volontarie) compta jusqu’à cinquante mille hommes appuyés par des chars légers Fiat-Ansaldo, quelques canons et surtout des chasseurs Fiat et des bombardiers Savoia.

Les troupes républicaines représentaient un important potentiel humain. Début 1937, Beevor estime leur puissance à 340 000 hommes. Mais leur armement était nettement insuffisant et leur expérience faible ou nulle.

Pour les Soviétiques, comme pour le Reich ou l’Italie, cette guerre fut aussi un terrain d’expériences , mais Antony Beevor souligne que la vision des officiers supérieurs russes demeurait obsolète. Eux non plus ne saisissaient pas la nouveauté que constituait le blindé, utile pour des attaques rapides en profondeur, s’en tenant à ce qu’il appelle une conception de la manœuvre « de type tsariste ».

Antony Beevor qualifie de rigide et de trop classique la stratégie globale de l’armée républicaine, car fondée sur des offensives massives classiques, avec préparation d’artillerie, appui aérien et blindé. Elles ne tenaient pas compte du déséquilibre des forces ni de la qualité respective de l’armement. Il souligne que ce manque de clairvoyance fut l’une des raisons de la défaite : « La stratégie des offensives classiques se poursuivit jusqu’à ce que la République ait épuisé sa puissance militaire sur l’Ebre à l’automne 1938. »

Une raison supplémentaire à cet intérêt jamais démenti sur l'histoire de la Guerre d'Espagne est livrée par Antony Beevor lui-même en conclusion. Quelles conséquences aurait entraînées une victoire républicaine ? Si celle-ci avait été acquise en 1937 ou début 1938, elle aurait probablement entraîné, à son sens, « un régime communiste dur » mais nuancé par la prise en compte des intérêts de l’Union Soviétique : « Avec un gouvernement autoritaire de gauche, peut-être même communiste, l’Espagne se serait probablement retrouvée dans le même état que les Républiques populaires des Balkans ou d’Europe centrale, jusqu’en 1989 au moins. » C’est peut-être quand il s’aventure à de telles hypothèses que les faiblesses de cet ouvrage apparaissent. Mais elles révèlent ce qui fut un élément clé du contexte des années trente en Europe et dans le monde : la naissance d’un anticommunisme idéologique pour, en temps de crise mondiale, « légitimer des causes conservatrices, ou d’autres plus douteuses encore ».

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